Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Pendant que j'y suis...
Archives
12 novembre 2010

L'allégresse des graffitis

Il y a dans « graffitis » comme un promesse d’allégresse. Une once d’accent de là-bas qui vous fait tendre l’oreille dans l’espoir d’y trouver un trésor de volupté, de fête et d’autrui. Une promesse de vie.

Sur les murs désaffectés ou les bancs publics de nos villes, sur les murets oubliés de nos communes tranquilles comme sur les palissades jadis épurées protégeant nos bouts de nature personnels, des graffitis se dressent, fiers et insolents, résignés ou fatigués d’attendre le renouveau.
Revendication ? Envie d’exister ? Moyen d’expression ? Prise de parole en public pour plagier ces consultants payés en lingots d’or à vous asséner de leurs hautains « oubliez qu’on vous regarde » ? Essai de langage ? Complicité phonétique ? Mouvance sociale ? Forme d’art ? A chacun sa raison de laisser sa marque. Son nom. Sa signature. Sa preuve qu’on sait y faire avec une bombe sans verser le sang ou récolter la peur et la haine. Au contraire. Créer, construire, attirer l’œil, soutenir la question, feindre la frontière alors qu’on espère l’émotion. Le contact humain. Juste le temps d’un regard furtif ou pendant une attente trop longue à l’arrêt de bus, sous une pluie si fine qu’on la croirait presque sèche et qui fait pleurer les lettres encore fraiches.

Il est des graffitis en forme de lettres gothiques, comme soutirés d’un album de Marylin Manson ou Nine Inch Nails. En forme de lettres modernes, pour les plus scolaires. D’autres au style plus simple, presque épuré, lisibles au premier coup d’œil même d’un non initié. Des obscénités classiques, contre la société, la mère du voisin qu’on veut niquer (sans l’avoir jamais rencontrée - quel manque de savoir-vivre ! Ou quel goût du risque !), la bande rivale, le président, quel qu’il soit, de la république ou de son entreprise, et c’est le branle-bas de combat (ne voyez aucune obscénité dans cette expression surtout). L’appel en urgence à la patrouille qui, sortie d’un dessin aimé d’Ana Barbera, se précipite sur les lieux du crime les phares exorbités, le gyrophare plus tournoyant et éclairant que le projecteur de la Tour Eiffel un jour de brume, la sirène humiliant celle d’un camion de pompiers à l’approche d’un incendie de foret en plein été, et les pneus crissants comme… des pneus crissants. Et puis il y a les fresques. Les murs décorés comme nulle part ailleurs, uniques, étincelants de couleurs piquantes et dignes d’une époque disco que les moins de vingt ans ne connaissent que par procuration grâce à des publicitaires trentenaires, nostalgiques et sans-un-sou-d’esprit-d’invention-alors-on-se-complait-dans-la régression-qui-plaira-au-client-puisqu’on-est-de-la-même-génération. Des œuvres d’art inoubliables à la mémoire de leurs frères qui ont su traverser les océans du vide, de leurs pères qui ont dû résister à leurs époques acides, de leurs idoles à qui ils ont repris le flambeau et promis de le porter bien haut. Gandhi, Martin Luther King, Mohamed Ali, Tupac, Michael Jordan, Aimé Césaire, Tommie Smith et John Carlos, Robocop, Bob Marley et tant d’autres.

graffiti

Ces fresques-là, nul ne peut se soustraire à les effacer du paysage les plus souvent urbain auquel ils appartiennent. Des concours et des animations sont organisés pour elles dans les cités. Créant en leur sein des moments de vie dans les quartiers soi-disant peu recommandés qui ne demandent qu’à être un peu égayés avant d’être irrémédiablement « réhabilités ».
Au fond d’un quartier, un peu voyants mais pas trop, des murs sont personnellement (n’en doutons pas) choisis par des élus préposés à la culture, ou parfois même par les futurs grapheurs honorifiques, pour que ces derniers laissent exposer leur talent en toute liberté, profitant ainsi d’une tribune publique au lieu de l’habituelle face cachée de la rue. Le prix de la paix communale ne vaudrait-il qu’un simple mur peint devant quelques caméras d’une télévision départementale sans budget et sous la plume lasse d’un fonctionnaire qui n’attend plus que la quille ? Certains le croient… D’autres, plus notables que politiques, sont même convaincus de la cure de jeunesse dont leur ville peut s’enorgueillir, de la modernité soudaine mais sûrement durable de leur territoire, ou encore de l’esprit indéniablement démocrate, respectueux et – n’ayons pas peur des mots, républicain de l’exercice !
Alors les taggeurs s’exécutent. L’aubaine d’une journée de trêve à leur encontre est trop belle pour s’adonner à leur « bombance » avec plus de gourmandise et de fièvre qu’ils n’en ont jamais ressenti.
Fièvre ? Non, pas de fièvre en cet instant facile. Car qui est dupe de ce jeu aussi aisé que maladroit ? Rien de pire qu’un mur offert gracieusement par la ville. Pris mais gagné sans sueur au front, sans crainte de la poursuite endiablée jusqu’à la frontière du no man’s land. Peint en trois heures pour ne plus jamais évoluer. Un petit tour, souriez c’est pour la photo, et puis s’en va maintenant on a les noms. Un mur qui ne sera plus jamais être lavé, ni caressé par les karchers industriels mi eau mi sable des services techniques ou frotté généreusement aux produits sans détergents ni essences pétrochimiques finalement – qui l’aurait cru ? -  si nuisibles pour l’environnement.
Ici, le graffiti est pris au piège. Voltigeant de musées en expositions itinérantes et temporaires, d’associations en inaugurations, les tableaux et les livres ont la belle vie. Pas les graffitis encagés sur des murs qu’ils croyaient leurs amis. Leurs compères d’infortune et d’appel à la fronde et à l’unité. Leur accueil n’était qu’un leurre, une mise en scène tragique. Comme si un journal n’avait qu’une page et ne paraissait qu’une fois. Mais l’actualité change, la Terre tourne rond, elle, et les idées avec ! Aurait-on prêté aux pauvres des murs dont ils n’avaient pas la propriété ? Assisterait-on à un exemple de subprime artistique urbain ? Malaise…
Alors une fois les poignée de mains consensuelles et amères données contre bonne volonté, la valse des signatures reprend son cours, les encouragements complices s’en donnent à cœur joie et les félicitations familiales de ce bout de terrain arraché à l’ennemi précèdent naturellement le cortège des équipes de lutte anti-graffitis qui reprennent du service.
L’ennemi… Et si cette lutte n’en était finalement pas une ? Si le rythme de la danse relevait d’un commun accord, officieux mais bien tacite ?
Le jeu est clair. Le graffiti agrippe un trottoir, s’éprend d’une œuvre d’art officielle et inaugurée en grande pompe. Quelques jours, voire quelques heures seulement plus tard, la jalouse et possessive hydrogommeuse le plaque contre le mur et le fait disparaître sans le ménager. Les bonnes mœurs et les conventions sociales y vont de leur honneur… Puis c’est au tour d’une autre signature de se déverser sur cet espace fraichement offert. La place est libre. Le temps d’y accueillir une nouvelle œuvre, un nouveau nom, une nouvelle réponse à une conversation dont l’écho résonne dans toute la ville, sur chaque parcelle où s’amoncèlent des paraphes en carafe. La place est libre. Certes pas pour des mots qu’on comprend trop bien et qui dérangent, mais pour des graffitis qu’on accepte et qui sont le reflet d’un besoin incessant de trouver sa place dans notre société. Au pire de se demander quelle est-elle ? Où est-elle ?
La place est libre. A vous de jouer. A vous de parler. On vous donne deux jours pour signer. Après on efface tout et on recommence. On recommence... Pas de renaissance épanouie sans deuil. Pas d’effacement sans une nouvelle opportunité. En leur donnant de nombreuses mais petites morts sur les murs de leurs villes, les protecteurs de la société donnent aux graffitis un espace infini pour revivre. Une promesse de vie. L’allégresse de l’éternité.

 

 

Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Pendant que j'y suis...
Publicité